Ecotoxicité des antiparasitaires sur la faune non-cible

Encore peu prise en compte par les éleveurs, l’écotoxicité des antiparasitaires sur la faune non cible est un problème bien réel. Quelle que soit la substance utilisée, l’animal traité excrète une quantité plus ou moins importante de la molécule reçue, après l’avoir en partie ou non métabolisée. La majorité des médicaments vétérinaires sont excrétés via les fèces, sinon par voie urinaire.

Concernant les antiparasitaires, il est établi que certaines molécules conservent tout ou partie de leurs propriétés biocides dans les bouses et représentent ainsi un danger pour la microfaune des écosystèmes des prairies, notamment les coléoptères coprophages (bousiers). Ceux-ci se nourrissent et se reproduisent dans les bouses et sont des intervenants essentiels de la dégradation des excréments. Ils sont également une ressource alimentaire majeure de nombreuses espèces ; donc les dommages subis par ces insectes se répercutent sur les animaux qui s’en nourrissent. C’est tout l’écosystème qui peut se dérégler.

En dehors de la faune, la baisse de dégradation des bouses induite peut conduire à l’augmentation des refus au parc, à la diminution de l’intégration de la matière organique, la réduction de la qualité du sol et par conséquent la baisse de la capacité de rétention de l’eau.

Autre insecte pouvant être impacté : un article paru dernièrement dans la revue La Semaine Vétérinaire(1) rappelait un épisode de 2008/2009, de surmortalité des abeilles en Ariège causé par la contamination des eaux et des excréments du bétail où les abeilles venaient s’abreuver, par des antiparasitaires utilisés dans le cadre de la lutte obligatoire anti-vectorielle contre l’épisode de FCO qui sévissait alors. D’autres recherches sont en cours, notamment pour investiguer l’exposition des abeilles mellifères aux biocides et antiparasitaires utilisés en élevage et leurs conséquences sur la santé des colonies. Les connaissances sur ce sujet sont réduites mais les questionnements émergent.

Face à ce constat, il serait cependant irréaliste d’envisager de se passer des antiparasitaires car ils jouent un rôle important dans le maintien de la bonne santé et la productivité des animaux d’élevage. Néanmoins, il est évident que ces substances ne restent pas dans l’exploitation et se retrouvent dans l’environnement avec une rémanence plus ou moins longue. Pour limiter les effets non-intentionnels de ces produits, plusieurs actions sont possibles :

  • S’appuyer sur les outils et protocoles de diagnostic les plus pertinents: coproscopies, dosage du pepsinogène, protocoles adaptés à voir avec son vétérinaire … Ceci permet de mettre fin aux traitements systématiques reconduits d’une année à l’autre sans analyse du risque parasitaire réel ;

 

  • Limiter le risque de contamination ou d’impact parasitaire par une conduite d’élevage et une gestion agronomique adaptées : entretenir un bon état général des animaux et leur fournir une ration équilibrée « nourrissez bien vos animaux, ils s’occuperont de leur parasites», préserver l’acquisition de l’immunité naturelle contre les strongles pour les bovins, gérer la contamination des pâtures par une alternance fauche/pâture et le temps de retour sur pâture, réduction du chargement instantané, co-pâturage bovins/ovins/équins, pour les douves l’interdiction d’accès aux zones humides qui sont des gîtes à limnées, … ;

 

  • Choisir une molécule de moindre toxicité – (voir tableau ci-dessous) –
    • les anthelminthiques les plus dangereux pour la faune coprophages sont les avermectines avec des variations selon les molécules : abamectine > doramectine ³ ivertmectine > éprinomectine, toutes très toxiques pour les stades larvaires des coléoptères coprophages et qui gardent leurs propriétés insecticides dans les bouses plus d’un mois après administration. Pour les douvicides, seuls le clorsulon et le closantel présentent une toxicité sur la faune non cible ;
    • choisir une voie d’administration plus sécurisante : les produits administrés en pour-on sont susceptibles d’augmenter le risque environnemental car les doses administrées sont généralement plus importantes, de même que le risque de lessivage des substances, les conditions d’administration qui peuvent être aléatoires avec un risque de déversement sur le sol ;
    • ou décaler le traitement en dehors des périodes les plus à risques pour les écosystèmes de prairie: traiter en stabulation l’hiver, éviter l’emploi de molécules toxiques à la mise à l’herbe car les populations d’insectes coprophages sont alors faibles et les individus ayant survécu à l’hiver se précipitent sur les premières bouses disponibles, rentrer les animaux ou les confiner dans un parc pendant le temps d’excrétion du produit dans les bouses, …)
    • De même, les produits « longue action » avec une grande rémanence présentent des risques accrus par rapport à un traitement non rémanent ;

 

  • Préférer une stratégie de traitement sélectif en ciblant les animaux les plus impactés par le parasitisme d’une part : pour les ovins, cela consiste à ne vermifuger dans un groupe que les animaux pour lesquels le bien-être et/ou les productions sont affectés ; à savoir que 15 à 20% des animaux hébergent 80% des parasites ; et d’autre part adapter le traitement en fonction de la catégorie d’animaux et des objectifs (immunité, croissance, …) : les animaux pâturant en zone humide, les jeunes, les broutards mâles vendus au sevrage, les génisses de renouvellement, les primipares au vêlage, les allaitantes suitées, les vaches laitières ou taries doivent faire l’objet de stratégies de traitement différenciées ;

 

  • S’aider de vermifuges issus des médecines complémentaires (aromathérapie, phytothérapie, …) afin de maintenir une situation plus favorable aux bovins qu’aux parasites, pour stimuler la réaction immunitaire de l’organisme face à l’agression parasitaire et limiter ainsi les troubles qui en découlent ; ceci doit se faire en complément des mesures agronomiques et zootechniques plutôt qu’en substitution totale des antiparasitaires conventionnels car ils n’ont aucun effet sur les parasites eux-mêmes, contrairement aux antiparasitaires allopathiques (= traitements conventionnels).

 

A noter que les bidons vides d’antiparasitaires doivent être gérés de la même façon que des médicaments vétérinaires et donc être éliminés dans une filière sécurisée (DASRI/poubelles jaunes). Il ne faut pas rincer les contenants avant de les jeter.

Pour conclure, le but de cet article n’est pas de contraindre mais de convaincre des risques environnementaux liés à l’usage systématisé des antiparasitaires. A noter que les arguments pour une gestion plus raisonnée du parasitisme vont plus loin que la protection de l’environnement et la préservation de la vie du sol  car cela permet  également de réduire les risques de développement de résistances ou de résidus dans les denrées alimentaires.

Pour aller plus loin dans votre gestion du parasitisme, faites le point avec votre vétérinaire.


13 juin 2019 – CD. GDS54

Sources :
  • La Semaine Vétérinaire – 10 mai 2018 – n°1808 : « Usage des antiparasitaires, pensez aux insectes »
  • « Intégrer les enjeux environnementaux au conseil vétérinaire en matière de lutte contre le parasitisme herbagé des bovins » A Barbier Bourgeois E. Thebaud 2015
  • « Antiparasitaires et biocides : un facteur de risque pour les insectes en général et pour l’abeille mellifère en particulier ? » bulletin des GTV – numéro spécial 2018
  • Tableau 1 : classement des produits antiparasitaires en fonction de leur toxicité pour la faune non cible – JP Bailly